Parce qu’il n’y a pas de vues pour cette vague

Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS, rappelle à franceinfo que “personne ne peut prédire l’avenir” et que les experts ne peuvent qu’élaborer “des scénarios pour capter le champ des possibles”. Il souligne que cela a été fait avec succès, en France, pour la vague associée à la sous-variante BA.2 qui a sévi en mars. Mais dans les faits, à ce jour aucun scénario n’a été imaginé pour la nouvelle montée de l’épidémie liée aux nouvelles variantes BA.4 et BA.5, explique à franceinfo l’épidémiologiste Mircea Sofonea, qui travaille avec Samuel Alizon dans le groupe ETE, à Montpellier. . “C’est la première vague en France pour laquelle nous n’avons aucune projection.” Mircea Sophoneas, épidémiologiste chez franceinfo Ce groupe est l’un des centres de recherche français les plus pointus depuis le début de la pandémie. Jusqu’à récemment, ETE publiait régulièrement des modèles basés sur des données hospitalières pour prédire la date et la hauteur des pics épidémiques de Sars-CoV-2 en France. Mais ce travail n’a pas été fait pour cette septième vague. Les chercheurs déplorent le manque de ressources. “Je passe une partie importante de mon temps à répondre à des appels à projets juste pour avoir les moyens de faire de la recherche”, déplore Mircea Sofonea, qui affirme avoir essuyé plusieurs refus ces derniers mois de la part d’organismes comme l’Agence nationale de la recherche, qui finance des fonds publics recherche en France. Samuel Alizon juge également que “la principale difficulté aujourd’hui” concernant les projections de la septième vague réside dans le “manque de soutien matériel à nos groupes et l’indifférence des autorités”. “Seules la Région Occitanie et l’Université de Montpellier ont soutenu notre travail en cours pour projeter les besoins hospitaliers”, précise Mircea Sofonea. Le manque de données fiables, locales et à jour est également pointé du doigt. “La dernière étude dont nous disposons en France sur les sites et conditions d’infection, réalisée par l’équipe d’Arnaud Fontanet à l’Institut Pasteur, date d’août 2021. Or, depuis, le contexte sanitaire – variations, mesures et comportements – a changé, ” prévient Mircea Sofonea. De son côté, l’École des hautes études en santé publique (EHESP) explique à franceinfo “qu’aucun dépistage devant être rendu public n’est actuellement réalisé” par ses épidémiologistes. A l’Inserm, “on continue d’y travailler mais à ce stade la situation ne nous permet pas d’avoir des projections”, admet la directrice de recherche Vittoria Colliza auprès de franceinfo. Enfin, à l’Institut Pasteur “des analyses sont en cours” mais “pas encore publiées”.

Car il faut désormais tenir compte de nombreux paramètres

La modélisation en épidémiologie n’a jamais été facile. Il l’était encore moins pour le Covid-19, une maladie pour laquelle les chercheurs n’avaient ni données a priori ni recul compte tenu de son apparition récente, comme l’expliquait à franceinfo en décembre 2020 Simon Cauchemez, épidémiologiste à l’Institut Pasteur. À l’été 2022, la situation s’est encore compliquée. Même si des projections avaient été faites, elles auraient été plus sensibles que pour les vagues précédentes. Prenez la couverture vaccinale, généralement élevée en France (78 %). Elle protège les Français, a assuré Jean-François Delfraissy, déclarant : “La vague ne déferlera pas l’été car nous sommes vaccinés.” Cependant, dans le détail, le taux de vaccination varie selon les tranches d’âge ou même selon les régions. Sans oublier que les vaccinés ne recevaient pas leurs injections en même temps, du fait des campagnes différentes, et que la protection apportée par la vaccination diminue au fil des mois. C’est pourquoi le professeur Alain Fischer appelle les personnes de plus de 60 ans à recevoir un deuxième rappel vaccinal (troisième ou quatrième dose selon les cas). “La modélisation épidémiologique est généralement basée sur le cloisonnement. Au début de la pandémie, la population était essentiellement cloisonnée par âge”, explique Mircea Sofonea. Mais avec la vaccination et les infections successives, le nombre de compartiments augmente significativement et en même temps les trous paramétriques dans nos modèles. “La situation épidémique est devenue extrêmement compliquée à ce stade en raison du niveau d’immunité qui est très compliqué à estimer”, abonde Vittoria Colizza, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm, en raison des différents variants, des différents vaccins ou des interactions entre infections et vaccination. “La succession très rapide des variations nous empêche d’avoir de bonnes estimations de ces facteurs en temps réel pour faire des projections robustes et fiables”, conclut-il.

Parce que les variantes mineures BA.4 et BA.5 passent entre les mailles du filet

Si les vaccins restent notre meilleure arme contre la pandémie, leur efficacité contre de nouvelles sous-variantes (BA.4, et surtout BA.5) s’amenuise. “Il semble que ces variants se propagent plus vite (…) car ils échappent davantage à l’immunité acquise par la vaccination qu’à l’infection”, a relevé Samuel Alizon à franceinfo. “Les personnes qui ont un régime de traitement complet sont très bien protégées contre les formes sévères, a déclaré à franceinfo l’épidémiologiste Antoine Flahault. Elles ne sont pas protégées contre l’émergence du Covid, malheureusement, car ce n’est plus exactement la même souche.”

Covid-19 : ce que l’on sait de la sous-variante BA.5, plus contagieuse et qui va devenir majoritaire en France Santé publique France souligne dans une analyse du 15 juin (PDF) que la sous-variante BA.5 n’est pas le seul facteur ayant un “impact majeur” sur la reprise en cours de l’épidémie. L’organisme de santé pointe également “la baisse du respect des mesures barrières” et “l’augmentation du nombre de contacts”.

Parce qu’il est difficile de comparer avec d’autres pays

Pour tenter de prédire malgré tout les événements, les experts scrutent la situation ailleurs, notamment au Portugal. Aux rebonds précédents, il avait été battu quelques semaines auparavant par la France. C’est encore le cas pour cette septième vague. La reprise de l’épidémie, causée par les nouvelles variantes BA.4 et BA.5, a commencé début mai à Lisbonne et le pic d’infection a été atteint début juin. Considérant que la France accuse un décalage de six semaines, avec une remontée des cas qui a débuté mi-juin, certains épidémiologistes, interrogés notamment par Le Figaro, parient sur un pic atteignant fin juillet. D’autres chercheurs nuancent cette comparaison. Arnaud Fontanet, de l’Institut Pasteur, a déclaré au quotidien régional Ouest-France que la situation était “un peu différente”, entre la France et le Portugal. L’épidémiologiste a notamment pointé le fait que la vague BA.2 qui a touché la France au printemps a été moins forte au Portugal. Par conséquent, la population portugaise pourrait être moins protégée que BA.5 qui est assez proche de BA.2.