Posté à 5h00
Hélène Baril La Presse
« Lorsque nous avons commencé à fabriquer de la bière sans alcool, nous étions les seuls au Canada. Maintenant, tout le monde le fait. » Michael Jean, PDG de la microbrasserie de Drummondville Le BockAle, est bien placé pour constater que le marché de la bière artisanale au Québec est assez encombré. Tous les postes sont explorés, tous les business models sont testés. Et même si la consommation de bière est en baisse au Québec, l’industrie attire toujours des prétendants. Il y a actuellement une centaine de brasseurs en attente d’une licence de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ). L’avenir de ces futures brasseries est plus incertain que jamais. À moins qu’ils ne choisissent de se concentrer sur leur marché local et d’éviter de viser la conquête des rayons des supermarchés québécois. PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE Philippe Wouters « La régionalisation est ce qui sauvera les microbrasseries », affirme Philippe Wouters, qui a vu naître l’écosystème de la bière artisanale au Québec et suit de près son évolution. Selon lui, le modèle d’une brasserie dans chaque village québécois est toujours viable. «Il faut pouvoir investir beaucoup d’argent pour distribuer et vendre sa bière partout au Québec et au-delà», dit-il. PHOTO BERNARD BRAULT, DOSSIER DE PRESSE Installations extérieures à la microbrasserie Livingstone, Franklin À Drummondville, Le BockAle a décidé de faire exactement cela, de se concentrer sur son marché local et d’ouvrir un pub pour vendre sa bière avec alcool. “Nous n’avons pas le choix”, déclare Michael Jean. Nous avons commencé à jeter l’éponge sur la bière avec de l’alcool. » PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE Michael Jean, PDG de la microbrasserie Le BockAle Nous avons décidé de recentrer notre région sur la bière spiritueuse car il y a tellement de microbrasseries qui veulent être sur les tablettes que ça devient difficile. Michael Jean, PDG de la microbrasserie Le BockAle à Drummondville L’entreprise vient de s’associer à Nicolas Duvernois et Roméo Gin pour lancer des boissons prêtes à boire, avec et sans alcool. Un investissement de 15 à 25 millions dans une nouvelle usine entièrement automatisée est prévu pour répondre à ce nouveau marché et dynamiser la croissance.
Le moment de vérité
C’est à la fin de l’été, au moment du pic des ventes de bière, que la réalité pourrait rattraper plusieurs brasseries artisanales, estime Philippe Wouters. Toutes les brasseries sont confrontées à des augmentations de coûts importantes : les prix des céréales, des conserves, du carton et du transport ont fortement augmenté l’année dernière et rongent leur rentabilité. Dans le même temps, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs, qui sont moins susceptibles de vouloir payer encore plus que les prix déjà élevés de la bière artisanale. « Il y a des défis », reconnaît Marie-Ève Myrand, directrice générale de l’Association des microbrasseries du Québec. Le vieillissement de la population, responsable d’années de stagnation des ventes de bière, se poursuit, note-t-il. En plus de la hausse des coûts des intrants, la concurrence intense pour l’espace de rayonnage dans les épiceries est devenue un problème majeur, reconnaît-il. Tout l’environnement de la microbrasserie est en train de changer, explique Frédéric Thibeault, vice-président de groupe qui supervise les marques de bière Glutenberg et Oshlag, ainsi que la distillerie Oshlag. Le marché des boissons se fragmente. Le nombre de types de boissons se multiplie, avec une durée de conservation très courte. C’est le défi auquel nous sommes confrontés. Frédéric Thibeault, vice-président de Glutenberg et Oshlag Il faut se différencier, c’est une nécessité, estime Frédéric Thibeault. Glutenberg, numéro un de la bière sans gluten, brasse également de la bière de marque Oshlag, des spiritueux, de l’eau de Seltz et d’autres produits prêts à boire. L’entreprise a créé un réseau de distribution de bières de microbrasserie, une première au Québec. Transbroue représente et distribue ses marques de bière et quelques autres sur le marché québécois depuis 2013, comblant un besoin important pour les microbrasseries. Glutenberg et compagnie a une capacité de production de 60 000 hectolitres, ce qui en fait une grande microbrasserie. “Et nous avons de grandes ambitions”, assure Frédéric Thibeault.
Petit, au choix
Il existe plus de 300 microbrasseries au Québec. La grande majorité d’entre eux ont une production inférieure à 2000 hectolitres (1 hectolitre équivaut à 100 litres). La microbrasserie La Korrigane en fait partie. Depuis 2010, elle sert ses bières artisanales dans la région de Saint-Roch au Québec, avec une ambition volontairement locale. Avec un restaurant-pub, une dizaine d’employés et une production de 650 hectolitres, l’entreprise se porte bien. PHOTO BERNARD BRAULT, DOSSIER DE PRESSE Microbrasserie La Korrigane, dans la région de Saint-Roch au Québec
De “voyageurs” à professionnels
Le secteur de la bière artisanale est encore jeune au Québec, mais en 30 ans, son évolution a été spectaculaire. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE Installations de la brasserie et de la distillerie Oshlag, Montréal « Nous sommes passés d’une industrie de compagnons à une industrie professionnelle », résume Raphaël Sansregret, président et cofondateur d’Innomalt, une malterie au service des microbrasseries. Dans l’optique de faire du whisky, Raphaël et sa compagne fondent Innomalt à Sherbrooke en 2016. Devant la demande grandissante des microbrasseries, ils abandonnent leur projet de whisky pour se concentrer sur cette clientèle. La demande des microbrasseries est indéniable et Innomalt construit actuellement une deuxième usine d’une valeur de plus de 40 millions de dollars à Bécancour, ce qui multipliera par 20 la capacité de maltage au Québec. Depuis 2016, Raphaël Sansgret a vu les microbrasseries se professionnaliser. PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Pascal Viens et Raphaël Sansregret, co-fondateurs d’Innomalt Les entrepreneurs avec des plans d’affaires solides qui embauchent des brasseurs apparaissent de plus en plus. Raphaël Sansregret, président et co-fondateur d’Innomalt
plus de profondeur
Il n’y a plus que des microbrasseurs dans l’écosystème des microbrasseries. Les géants de la bière, qui devaient au moins avoir un pied dans ce secteur en pleine croissance, sont allés faire du shopping. AB-Inbev (Labatt) rachète la microbrasserie Archibald. Molson acquiert le Trou du Diable et les Brasseurs de Montréal de Shawinigan. La brasserie japonaise Sapporo a Sleeman et Unibroue. PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE Usine d’embouteillage Unibroue, à Chambly Des producteurs de malt comme Innomalt, des houblons de plus en plus cultivés au Québec, un réseau de distribution comme Transbroue et des détaillants spécialisés ont vu le jour, ajoutant de la profondeur à l’industrie. Enfin, les investisseurs professionnels ont pris le train. La Caisse de dépôt et la BDC ont chacune investi 5 millions dans les activités de Glutenberg, Oshlag et Transbroue. Le Fonds FTQ a investi 20 millions dans Brasseurs du Nord, créateurs de La Boréale, en plus d’investir des sommes plus limitées dans Le BockAle à Drummondville et la microbrasserie La Voie Maltée à Saguenay. …