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Le témoin d’une époque plus froide est sur le point de disparaître en Gaspésie : le gel permanent du mont Jacques-Cartier. Ce corps glacé, sous le sommet de la montagne qui culmine à 1268 mètres, est rare dans le sud du Nunavik. Le sol, les roches et l’eau restent en dessous de zéro toute l’année – mais pas pour longtemps. D’ici 2030, les températures atmosphériques seront trop élevées pour soutenir ce vestige glaciaire, selon le géomorphologue Daniel Fortier, expert en glace permanente. Avis aux vacanciers visitant le plus haut sommet des Chic-Chocs cet été : le paysage typique de toundra qu’ils y voient est en train de disparaître, tout comme les glaciers des Rocheuses qui reculent année après année. “Les gens pourront dire à leurs enfants : quand je suis venu ici, c’était la toundra. Et quand ils reviendront avec eux, ce seront des buissons et des petits arbres, précise M. Fortier, professeur à l’Université de Montréal. Malheureusement, il n’y aura plus de gel permanent, plus de caribou ligneux ou de plantes rares de la toundra. »

La neige, une variable critique

M. Fortier se rend au sommet du mont Jacques-Cartier depuis 2009 pour télécharger les mesures de température enregistrées par un détecteur installé en 1977. C’est son prédécesseur à l’UdeM, James Gray, qui, soupçonnant la présence de pergélisol, avait obtenu un financement pour élever une foreuse au sommet de la montagne. L’équipe avait creusé un trou de 29 mètres et y avait glissé un câble avec des thermomètres à l’intérieur. Cet équipement a confirmé la présence d’un gel permanent. Les sommets Chic-Choc ne sont pas tous recouverts de glace permanente. Pour que le froid glacial de l’hiver pénètre dans le sol, peu de neige doit s’y accumuler. « La neige, c’est comme l’isolant », explique Fortier. Le profil très aérodynamique du mont Jacques-Cartier, en forme de dôme, fait qu’il est très exposé aux vents et qu’en hiver il ne dépasse pas 30 cm de neige recouvrant le sol. Le mont Logan, en bordure ouest du parc de la Gaspésie, accueille probablement aussi du gel permanent : les ouvriers qui voulaient y implanter une tour de télécommunication ont déjà rencontré un sol glacé en plein été. Le mont Albert, imposant massif montagneux prisé des randonneurs, ne cache cependant pas un gel permanent. Le volume glacé du mont Jacques-Cartier s’étend sur une épaisseur de 45 m. Sorte d’énorme glaçon, cette glace permanente rafraîchit le sommet en été. Sa présence n’est pas nécessaire à la végétation de la toundra, mais elle la favorise beaucoup. De plus, la glace dans les interstices entre les roches souterraines rend le sol plus imperméable, ce qui empêche l’eau de pénétrer et d’assécher la surface en été.

Corrosion chimique lors de la décongélation

Pour des chercheurs comme M. Fortier, la glace de montagne permanente est une « gardienne » des changements climatiques. Son évolution, très lente, aplatit les fluctuations de température à court terme et ne reflète que des tendances qui persistent pendant plusieurs années. Les analyses faites par M. Fortier et son équipe suggèrent que dans une décennie le gel permanent du mont Jacques-Cartier deviendra une « relique », c’est-à-dire qu’il entrera dans une phase de retrait. Il faudra encore quelques décennies pour le voir disparaître complètement. La seule île de flore qui couronne le mont Jacques-Cartier en souffrira, mais la faune aussi, comme le caribou, qui dépend de ces espèces de la toundra. De plus, la fonte de la glace souterraine provoquera une érosion chimique des roches, ce qui libérera des substances dans l’eau. “On verra des résultats successifs dans toutes les espèces”, prédit M. Fortier.

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