On a souvent tendance à considérer les principales maladies qui nous affligent (maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer et maladies neurodégénératives) comme des pathologies indépendantes, sans lien les unes avec les autres. Cependant, plusieurs études récentes montrent que les personnes touchées par certaines de ces maladies courent un risque beaucoup plus élevé d’en développer une autre : par exemple, la présence d’une maladie cardiovasculaire augmente le risque de cancer et vice versa, alors que le diabète de type 2 qui survient au milieu l’âge augmente considérablement le risque de développer une démence plus tard dans la vie. Ces interactions indiquent donc que les perturbations causées par la présence d’une maladie chronique créent des conditions favorables au développement d’une autre pathologie. Cancer du sein et diabète Un bon exemple de cette interaction entre deux maladies est celle entre le diabète de type 2 et le cancer du sein. Plusieurs études épidémiologiques ont en effet révélé que les femmes atteintes de diabète de type 2 avaient un risque environ 25 % plus élevé de cancer du sein (tous types confondus). Il a également été observé que des niveaux plus élevés de glycémie à jeun et d’hémoglobine glyquée (un marqueur de l’hyperglycémie chronique) sont également associés à un risque plus élevé de cancer du sein ainsi qu’à une mortalité plus élevée causée par cette maladie. Cette relation semble également valable dans l’autre sens, ce qui signifie que le cancer du sein peut également favoriser le développement du diabète de type 2. Par exemple, des études de population ont rapporté que le risque de diabète commence à augmenter 2 ans après un diagnostic de cancer du sein et devient 20% de plus que les femmes du même âge, non concernées par ce cancer, 10 ans après le diagnostic de la maladie. Il a également été noté que chez les femmes ayant une prédisposition génétique au cancer du sein (gènes BRCA1/2), la survenue d’un cancer double le risque de diabète, en particulier chez celles qui sont en surpoids (IMC > 25). Il semble donc que les cellules cancéreuses du sein parviennent à perturber le métabolisme des sucres, possiblement en interférant avec la production d’insuline par le pancréas. Communication hors volume Une étude très intéressante suggère que cette régulation de l’insuline est causée par des vésicules extracellulaires libérées par les cellules cancéreuses du sein (1). Ces vésicules sont de petites particules produites par les cellules et servent à transporter certains composants cellulaires (protéines, lipides, micro-ARN) pour affecter la fonction des cellules cibles situées dans différentes parties du corps. Ce mode de communication semble particulièrement important pour les cellules cancéreuses, car plusieurs études ont montré que les vésicules générées par les tumeurs contribuent à la croissance tumorale, à la résistance au système immunitaire et à l’établissement de métastases. Les micro-ARN présents dans les vésicules jouent un rôle clé dans ces phénomènes : ces petits ARN contrôlent en effet l’expression de nombreux gènes (ils se fixent sur les ARN messagers pour empêcher leur traduction en protéines) et représentent ainsi des candidats de choix pour influencer les cellules en mode cible. Hyperglycémie précancéreuse L’étude suggère que la régulation du métabolisme du glucose représente un autre aspect de l’action pro-tumorale des miARN présents dans les vésicules sécrétées par les tumeurs. À l’aide de modèles animaux, les chercheurs ont observé que l’injection de ces vésicules contenant le microARN miR-122 était suffisante pour inhiber le métabolisme des cellules pancréatiques, supprimer la production d’insuline et créer un état d’hyperglycémie chronique qui favorise la croissance des cellules cancéreuses du pancréas et du sein. Chez l’homme, les chercheurs ont également observé que les patientes atteintes d’un cancer du sein présentaient des taux sanguins plus élevés de vésicules contenant du miR-122, des taux de glycémie à jeun plus élevés et des taux d’insuline à jeun plus faibles. Il apparaît ainsi que la création d’un état d’hyperglycémie chronique, provoqué par le blocage de la production d’insuline, représente une stratégie utilisée par certains types de cancers pour favoriser leur développement. Physiologiquement, cette stratégie a du sens : les cellules cancéreuses utilisent plus de sucre que les cellules normales et peuvent donc grandement bénéficier d’une glycémie plus élevée, d’autant plus que la baisse d’insuline empêche les cellules normales de pouvoir lier le sucre dans le trafic. En termes de prévention, l’existence d’un lien entre le diabète et le cancer du sein souligne l’importance du maintien d’une glycémie normale dans la prévention du cancer. Le maintien d’un poids corporel normal (IMC entre 22 et 25) est un objectif essentiel à cet égard, car le surpoids est de loin le principal facteur de risque du diabète de type 2. ♦ (1) Cao M et al. Les vésicules extracellulaires sécrétées par les cellules cancéreuses suppriment la sécrétion d’insuline via miR-122 pour altérer l’homéostasie systémique du glucose et contribuer à la croissance tumorale. Nature Cell Biology, publié le 30 mai 2022.