Posté à 6h00
                Janie Gosselin La Presse             

“Un allié inquiétant”

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, AGENCE D’ARCHIVES FRANCE-PRESSE Les journalistes turcs Levent Kenez et Abdullah Bozkurt, exilés en Suède En mai, lorsque la Turquie a opposé son veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, exigeant notamment l’extradition de certains de ses ressortissants, le journaliste en exil Levent Kenez n’a pas été surpris de voir son nom flotter dans les médias turcs. Son pays d’origine avait déjà demandé à la Suède, où il a trouvé refuge, de l’extrader – une demande rejetée par la Cour suprême suédoise. La nouvelle position de la Turquie, qui a accepté mardi de soutenir les candidatures suédoise et finlandaise en échange de certains engagements, ne l’inquiète pas outre mesure. Même si le ministre turc de la justice a réitéré sa demande d’extradition de 33 personnes, fort de la promesse d’une “pleine coopération” de la Finlande et de la Suède dans la lutte contre le terrorisme. PHOTO ANDREA KOMAS, PRESSE ASSOCIÉE Le président Erdogan serre la main du Premier ministre suédois Magdalena Andersson lors du sommet de l’OTAN. “Évidemment, aucun pays ne dira:” Je protège le terrorisme “”, a déclaré M. Kenez au téléphone. Mais la vraie question est de savoir qui compte comme terroriste. » Il est accusé de liens avec le mouvement Fetö, fondé par le prédicateur Fethullah Gülen et considéré comme terroriste par le gouvernement turc depuis le coup d’État manqué de 2016. Comme son collègue Abdullah Bozkurt, avec qui il collabore en Suède sur une émission en ligne critiquant le régime turc. gouvernement. “En Turquie, un journaliste qui critique le régime est un terroriste, alors qu’en Suède on reconnaît les journalistes professionnels”, dénonce ce dernier, également président du Stockholm Freedom Center. PHOTO ADEM ALTAN, DOSSIER AGENCE FRANCE-PRESSE Marionnette de Fethullah Gülen à Ankara après le coup d’État manqué de 2016. Depuis, les membres du mouvement Fetö sont pourchassés par l’État turc. La Finlande et la Suède se sont engagées à suivre la Convention européenne d’extradition, ce qui pourrait contrarier le gouvernement turc.

Terrible bambin

Que ce soit sur la définition du terrorisme, des atteintes aux droits de l’homme ou de la démocratie, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, avec son régime autoritaire, apparaît comme un partenaire maladroit pour ses alliés démocrates. Le veto imposé pour la première fois à l’adhésion de deux républiques européennes à l’OTAN n’est que le dernier en date. Le gouvernement turc, pour sa part, reproche à ses alliés de ne pas le soutenir – accusant même les États-Unis d’être à l’origine de la tentative de coup d’État de 2016. Au cours de la dernière décennie, la Turquie a pris ses distances avec l’Occident au profit de l’Asie et a accru sa présence dans Afrique. “Pour comprendre les relations extérieures de la Turquie, je pense qu’il faut réfléchir à plusieurs niveaux”, a déclaré Çiğdem Üstün, professeur associé à l’Université Nişantaşı d’Istanbul. Oui, il y a son rôle dans l’OTAN, dont il est membre depuis 1952. Mais aussi ses désaccords avec l’Union européenne, qu’il souhaite intégrer et qui la fait languir. Et les sanctions imposées par plusieurs alliés – dont le Canada – pour son non-respect des règles.

question kurde

Les opérations militaires turques dans le nord de la Syrie contre le groupe kurde YPG ont entraîné des sanctions contre la Turquie en 2019. Pour soutenir sa candidature à l’OTAN, la Turquie a également demandé à la Suède de lever l’une de ces mesures, à savoir un embargo sur ses exportations d’armes – qu’elle a obtenu – et de durcir ses lois antiterroristes sur les militants kurdes. Si l’Occident lui reproche ses actions, la Turquie est en colère contre ses partenaires qui soutiennent les combattants kurdes des YPG, qui ont combattu le groupe militant État islamique en Syrie. PHOTO ANDREW W. NUNN, ARCHIVES LA PRESSE Des combattantes dans un camp d’entraînement des YPG en Syrie il y a quelques années Elle estime que ses alliés devraient considérer les YPG comme une entité terroriste, à l’instar du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, mouvement classé comme tel dans de nombreux pays, dont la Suède et le Canada. La Suède et la Finlande se sont engagées à “ne pas soutenir” les YPG en Syrie.

Réactions en Suède

La levée du veto a fait craindre que les Kurdes, un groupe ethnique minoritaire en Turquie, aient été ciblés par le régime – 17 des 33 personnes visées par la demande d’extradition en Finlande et en Suède sont accusées d’être membres du PKK. “Je suis inquiet pour les Kurdes en Suède”, a déclaré à l’AFP Kurdo Baksi, militant suédois des droits de l’homme et journaliste d’origine kurde. La rhétorique de la Turquie, dans laquelle les craintes sécuritaires ont été mises en avant, n’a rien de nouveau pour les Kurdes de Suède, déclare Barzoo Eliassi, professeur agrégé à l’École des sciences sociales de l’Université Linnaeus en Suède. Lui-même d’origine kurde de la région d’Iran, le professeur Eliassi a publié des études sur ce peuple, dont un livre qui lui a valu d’être inscrit sur la liste noire de la Turquie, dit-il. Arrivé avant le changement de ton de la Turquie, il n’a pas été surpris par la position des Kurdes dans les discussions. “Je pense que les Kurdes ne sont pas trop surpris. ils sont souvent victimes de la realpolitik, c’est une répétition de l’histoire kurde », a-t-il déclaré. Avec l’Agence française

En chiffres

100 000

Estimation du nombre de Kurdes vivant en Suède, selon l’Office des statistiques Source : Courrier international

Entre 25 et 35 millions

Estimation du nombre de Kurdes dans le monde Source : BBC

Inflation galopante, citoyens en colère

“Nous sommes tous touchés par la hausse des prix”, déclare Çiğdem Üstün, professeur agrégé d’études européennes à l’université Nişantaşı, qui a rejoint Istanbul. “Surtout avec la hausse des prix de l’essence, car cela affecte tout le reste. » PHOTO DE DILARA SENKAYA, DOSSIER REUTERS Manifestation syndicale à Istanbul le 13 juin Après le COVID-19 et la guerre en Ukraine, l’inflation et la hausse du coût de la vie affectent les gens du monde entier. Mais en Turquie, l’indice des prix à la consommation a bondi de 73,5 % en un an, l’un des plus élevés au monde. Les économistes ont pointé du doigt la politique du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui s’est opposé à la hausse des taux d’intérêt. La livre turque a perdu près de la moitié de sa valeur au cours de l’année écoulée. PHOTO ADEM ALTAN, DOSSIER AGENCE FRANCE-PRESSE Le président Erdogan au Parlement turc le 15 juin Résultat : les Turcs se serrent la ceinture, dénonçant les prix abusifs. Et leur colère fait craindre au président de perdre son siège lors des élections de l’année prochaine.

Apaiser les électeurs

Les positions d’Erdogan sur la scène internationale jouent sur les ficelles des électeurs, estiment les analystes, cherchant à mobiliser la population contre un bouc émissaire – que ce soit les Kurdes ou les réfugiés syriens, qui sont au nombre de 3,7 millions en Turquie – et projettent une image de puissance face à des Occidentaux. PHOTO BAKR ALKASEM, FRANCE AGENCE-TYPE DE FICHIER Des rebelles soutenus par la Turquie dans le nord de la Syrie…