Le dramaturge, né en Grande-Bretagne mais qui a fait une grande partie de sa carrière en France, à la tête du théâtre parisien Les Bouffes du Nord, avait réinventé l’art de la mise en scène en privilégiant les lignes épurées aux décors traditionnels. C’est dans les années 1960, après des dizaines de tubes, dont de nombreuses pièces shakespeariennes, et après avoir mis en scène les plus grands – de Laurence Olivier à Orson Welles – que ce fils d’immigrés juifs lituaniens entame sa période expérimentale. Il crée avec la Royal Shakespeare Company un nu « King Lear » (1962) et surtout l’étonnante mise en scène de « A Midsummer Night’s Dream » (1970) dans une salle de sport en forme de cube blanc : c’est la théorie du « vide space” qui marquera définitivement le théâtre moderne. Publié pour la première fois sous forme de livre en 1968, il laisse libre cours à l’imagination du public et est considéré comme une « bible » pour les amateurs de théâtre d’avant-garde. “Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène” est l’une de ses phrases célèbres. “Le visionnaire, le provocateur, le prophète, l’escroc et l’ami aux yeux les plus bleus que j’aie jamais vus a quitté la maison”, a tweeté dimanche son collègue réalisateur et acteur Simon McBurney. Son “Marat/Sade” a charmé Londres et New York et lui a valu un Tony Award en 1966. Au début des années 1970, il s’installe en France où il fonde le « Centre international de recherche théâtrale » au Théâtre des Bouffes du Nord. Il met en scène des œuvres monumentales nourries d’exotisme, avec des acteurs de cultures différentes, et va tourner dans le monde entier, souvent dans des lieux inédits : des villages africains aux rues du Bronx en passant par la banlieue parisienne. Son œuvre la plus connue est « Le Mahabharata », une épopée de neuf heures tirée de la mythologie hindoue (1985), qu’il a créée au festival d’Avignon et qui a été adaptée au cinéma en 1989. Dans les années 90, lorsqu’il triomphe au Royaume-Uni avec Oh les beaux jours de Samuel Beckett, la critique le salue comme “le meilleur réalisateur que Londres n’ait pas”. Après plus de 35 ans passés aux Bouffes du Nord, Peter Brook a quitté la direction du théâtre en 2010 à l’âge de 85 ans, continuant d’y monter des productions jusqu’à récemment. “Peter Brooke nous a offert les plus beaux silences du théâtre, mais ce dernier silence est infiniment triste”, a réagi sur Twitter la ministre française de la Culture, Reema Abdoul Malak, affirmant qu’avec lui “la scène s’est dégagée à la plus vive intensité”. 2019 rend hommage à ‘Pourquoi ? à Meyerhold, grande personnalité du théâtre russe et victime des purges staliniennes, rappelant une de ses citations : « Le théâtre est une arme dangereuse ». Il a toujours refusé de faire du théâtre engagé, préférant un théâtre qui invite à la réflexion ou à la spiritualité, que ce soit avec des pièces de Shakespeare ou des adaptations comme Carmen. “Certains journalistes viennent me demander : +Alors, tu penses pouvoir changer le monde ? +. Cela me fait rire. Je n’ai jamais eu cette prétention, c’est ridicule”, confiait à l’AFP l’homme, qui avait été secoué trois ans plus tôt par la mort de sa femme, l’actrice Natasha Parry, en 2018. Outre sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Estienne, il laisse derrière lui deux enfants, le metteur en scène Simon Brook et la metteure en scène Irina Brook.