“L’enquête en cause n’était ni nécessaire dans une société démocratique ni proportionnée à l’objectif poursuivi au sens de la jurisprudence de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme)” sur la liberté de la presse, a jugé le tribunal.

“Atteinte à la liberté d’expression”

Selon les juges, cette enquête “constituait donc une ingérence dans la liberté d’expression (…) d’autant plus grave que le risque de violation du secret des sources ne peut être appréhendé que dans des cas exceptionnels”. Avec l’assignation de Mediapart, l’Etat a été condamné à verser à la zone d’enquête un euro à titre de « réparation intégrale de son préjudice », auquel s’ajoutent 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile (frais de justice), avec une ordonnance pour l’exécution provisoire de la décision. Le tribunal de Nanterre a rejeté la demande de publication sur le site du ministère de la Justice sollicitée par Mediapart.

Retour sur l’affaire Benalla

Le 31 janvier 2019, le site avait publié des extraits audio d’une conversation entre l’ancien directeur de projet de l’Elysée Alexandre Benalla et l’ancien employé d’En Marche ! Vincent Crase daté du 26 juillet, quatre jours après avoir été inculpé dans l’affaire d’agression du 1er mai 2018 et en violation de leur contrôle judiciaire. Dans les jours qui ont suivi, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour “détention illégale d’appareils ou dispositifs techniques susceptibles de permettre la surveillance des télécommunications ou des conversations” et “atteinte à la vie privée”. Dans ce contexte, deux procureurs et trois policiers avaient tenté de perquisitionner les locaux de Mediapart, afin de restituer les enregistrements, une initiative vivement dénoncée par le site, plusieurs médias et l’opposition.

“Dommages inhabituels, spéciaux et graves”

Pour le tribunal de Nanterre, ces perquisitions « comportaient nécessairement un accès au support et à ses éventuelles métadonnées susceptibles de permettre, directement ou non, l’identification de la source », entraînant « le risque, sans doute réduit par rapport à ce qui est mentionné, mais toujours une cible potentielle pour la divulgation accidentelle d’autres sources ». “En raison de la nature de la liberté exercée et de l’atteinte à l’un de ses piliers, la disproportion soutenue implique à elle seule l’existence d’un préjudice anormal, particulier et grave”, ont affirmé les juges. A l’époque, le président du site Edwy Plenel avait rappelé qu’avant l’effort d’enquête, Mediapart s’était engagé à remettre une copie des enregistrements à la justice, ce que le site a fait le 4 février 2019.

“Décision historique” pour l’avocat de Mediapart

Interrogé par l’AFP, le parquet de Paris s’est refusé à tout commentaire. “Nous nous félicitons de cette décision historique, qui consacre la liberté d’information et rappelle aux autorités judiciaires que la presse est un lieu où l’on ne va pas en toute impunité”, a déclaré à l’AFP Me Emmanuel Tordjman, avocat de Mediapart. “Comme la liberté d’expression, les médias sont protégés et ne peuvent être touchés qu’avec prudence et proportionnalité”, a-t-il déclaré. “En validant l’abus de pouvoir de l’Etat, (la décision) rappelle la nécessité vitale, en démocratie, d’une justice indépendante et d’une presse libre”, a réagi sur le site de Mediapart Edwy Plenel, son président et co-fondateur.