Si certains serrent leur ceinture à cause de la houle, d’autres ne penseront même pas à la plage ou à leur budget logement car ils ne peuvent pas partir. Comme chaque année, été ou non, des millions de Français en 2022 ne connaîtront pas l’expérience de partir en vacances (défini par l’Organisation mondiale du tourisme comme tout séjour de loisirs comprenant au moins quatre nuits consécutives hors de chez eux).

Un Français sur quatre ne part pas

Chaque année, environ quatre Français sur dix manquent leurs vacances. Ainsi, 37 % des personnes interrogées ont déclaré ne pas être parties du tout en 2019, selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) publiée en juin dernier. Sous l’effet de la crise du Covid-19, ce pourcentage a même atteint 51 % en 2020 et 46 % en 2021. « Historiquement, on tourne autour de 40 % », résume le sociologue Bertrand Réau, expert en tourisme. Par rapport à nos voisins européens, les Français sont plus enclins à rester chez eux. Selon le Crédoc, où 40 % d’entre eux n’étaient pas partis en vacances en 2013, seuls 36 % des Italiens et des Belges en avaient fait autant. La même année, 27 % des Britanniques et 25 % des Allemands ont évité de partir. Sans même parler de vacances de plusieurs jours, de nombreux Français sont également exclus des séjours simples avec au moins une nuit hors de chez eux. Selon l’INSEE, 21 % de la population métropolitaine âgée de 15 ans et plus n’a participé à aucun de ces séjours de loisirs en 2019, soit 11 millions de personnes. Cette part a atteint 27% en 2020, soit 14 millions de personnes.

Les ménages à faible revenu sont les plus durement touchés

Partir ou non en vacances est très souvent lié à des inégalités de niveau de vie. Ainsi, en 2019, 53 % des ménages modestes ne sont pas partis dans l’année, contre seulement 18 % des ménages aisés, selon le Crédoc. Les vacances et les loisirs sont, “chaque année depuis près de quarante ans”, les dépenses sur lesquelles les Français déclarent être limitées en priorité, souligne le centre de recherche. Cette tendance se reflète dans le taux de non-départ en voyage d’agrément, par exemple pour un week-end. En 2019, parmi les ménages les moins aisés, 46 % des personnes ne partaient pas une seule nuit, selon l’Insee. Parmi les ménages les plus riches, ce chiffre n’était que de 9 %. “Ces inégalités ont peu évolué ces dernières années, on est loin de l’image épinalienne du Front populaire et des vacances pour tous.” Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités chez franceinfo Ces différences sont même souvent renforcées par des niveaux d’assistance variables. “Les aides aux entreprises comme les chèques vacances profitent plus aux classes moyennes qu’aux plus modestes, montre Anne Brunner. pour emprunter un logement ou séjourner dans une grande maison de campagne.”

La principale raison est financière

En 2014, le Crédoc a interrogé les Français sur la principale ou les deux raisons pour lesquelles ils ne partaient pas en vacances. Derrière le budget, cité par 61% d’entre eux, se cachent des raisons particulières de santé (22%), familiales (17%) et professionnelles (16%). Mais les chiffres les plus récents sont ceux de l’Insee, non pas sur les vacances mais, en général, sur les voyages. On retrouve ce même triplet de contraintes. Dans le détail, les raisons de santé sont largement liées à des difficultés de mobilité, dues à un handicap, à une maladie ou à l’âge. “Les seniors sont ceux qui voyagent le moins”, observe l’Insee. En 2019, 33 % des résidents métropolitains âgés de 70 ans et plus n’ont pas voyagé, comparativement à moins ou égal à 20 % du reste de la population. Les raisons professionnelles évoquées sont principalement liées à une charge de travail excessive, un nouvel emploi, une recherche d’emploi ou un besoin d’étudiant. En termes de contraintes familiales, il s’agit avant tout d’un besoin de s’occuper d’un membre de la famille, qu’il s’agisse d’un proche dépendant ou d’un jeune enfant. Dans un autre registre, la nécessité de garder des animaux de compagnie est soulignée par 5,5 % des personnes vivant à domicile.

Certains choisissent de ne pas partir

Parmi les autres raisons invoquées pour ne pas partir en vacances ou en voyage, une se démarque : le choix délibéré de rester chez soi. Un « non vacancier » sur quatre avançait ce motif en 2014 avec le Crédoc. En 2019, c’était la principale raison de ne pas partir en voyage donnée par 15,1% des répondants. Sur ce total, un peu plus de la moitié ont dit « préfère rester à la maison » et le reste a dit « Je ne veux pas voyager », « Je ne veux pas y aller seul » ou « Je n’ai pas l’habitude d’organiser des voyages ou vacances”. Pour certains, les vacances peuvent être une perspective plus inquiétante qu’excitante, un saut dans l’inconnu, loin des repères habituels. “Contrairement à ce qu’on pense, partir en vacances n’est pas inné, cela demande un apprentissage”, affirme le sociologue Bertrand Réau. “Les familles qui n’ont jamais organisé d’escapade de vacances font face à une logistique qui peut être déroutante, parfois au point d’abandonner.” Bertrand Réau, sociologue chez franceinfo Et de conclure : “Malheureusement les pouvoirs publics et surtout l’Etat ont tendance à se désintéresser des vacances, ce qui n’aide pas à réduire les écarts”.