Posté à 7h25
                Didier LAURAS Agence France-Presse             

Verrouiller le Donbass, avancer, négocier pour s’emparer des gains territoriaux et diviser l’Occident : sauf coup d’État militaire, le président russe Vladimir Poutine a beaucoup de cartes à jouer, mais reste totalement opaque sur ses intentions. “Toutes les options sont ouvertes”, résume Pierre Razoux, le directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).
“Tout est possible”, confirme Alexander Greenberg, analyste au Jerusalem Institute for Security and Strategy (JISS). “Les Russes vont-ils s’arrêter et revendiquer une grande victoire ou ont-ils des projets” dans le sud du pays ?

Continuez d’avancer

Personne ne semble pouvoir empêcher les Russes de contrôler totalement le Donbass, déjà partiellement détenu par des séparatistes pro-russes depuis 2014, même s’il existe des poches de résistance. Face aux villes jumelles de Sievierodonetsk et Lyssychansk, tombées l’une après l’autre, se trouvent des cibles tentantes pour Moscou. “La Russie peut espérer capturer Sloviansk et Kramatorsk et leurs environs”, a déclaré Pierre Grasser, chercheur associé au laboratoire Sirice de l’Université de la Sorbonne. “Avec Sloviansk, les forces russes espèrent trouver une population – pour ceux qui sont restés sur le terrain – assez amicale.” Mais les forces russes ont montré au début de la guerre qu’elles ne pouvaient pas se permettre d’aller trop loin. « Leur rouleau compresseur fonctionne bien près de leurs frontières, de leurs plateformes logistiques et de leurs bases aériennes. Plus on s’en éloigne, plus ça se complique », constate Pierre Razoux.

Verrouillé la mer Noire

Les Russes ont rapidement capturé Kherson, dans le sud, dans les premiers jours de la guerre, mais la situation sur la côte de la mer Noire ne s’est pas stabilisée. “La guerre dans le sud – et la libération des ports ukrainiens du contrôle russe – est un front d’une importance stratégique bien plus grande” que le Donbass, a déclaré Mick Ryan, un général australien à la retraite. Le contrôle de la côte donnerait à Moscou une continuité territoriale avec la Crimée, annexée en 2014, et un accès aux ports ukrainiens de la mer Noire.
Mais « les contre-attaques de l’Ukraine dans le sud mettent les Russes dans l’embarras. Maintiennent-ils l’attaque à l’est ou renforcent-ils significativement le sud ? ajoute l’officier supérieur.

Il montre Kharkiv

Kharkiv, la deuxième ville du pays (Nord-Est), non loin de la frontière russe, est restée sous contrôle ukrainien et pourrait être une cible pour Poutine, selon Pierre Razoux.
“Si l’Ukraine s’effondre et que Kharkiv est complètement isolé, les Russes pourraient forcer les Ukrainiens à choisir entre essayer de défendre Kharkiv ou relâcher la pression vers le sud, vers Kherson.” Un dilemme que le président ukrainien Volodymyr Zelensky connaît bien.
“Il doit organiser ses unités de manière à éviter une percée majeure pendant les mois d’été, à empêcher les Russes de couper en deux les forces ukrainiennes et d’encercler la grande enclave de Kharkiv”, ajoute le chercheur. Une bataille pour le contrôle de cette ville d’environ 1,4 million d’habitants serait forcément désastreuse et le siège pourrait durer “un an”, selon l’expert.

Diviser l’Ouest

A chaque avancée militaire, Vladimir Poutine enfonce un coin dans la solidarité occidentale. Car Kyiv, Washington, Paris, Londres ou Varsovie n’ont pas la même vision du conflit.
“L’objectif pour la Russie est de continuer à écraser les forces ukrainiennes jusqu’à ce que le soutien politique à l’Ukraine en Occident s’estompe”, déclare Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, un groupe de réflexion new-yorkais.
Cependant, Kyiv est sous l’infusion d’une aide militaire occidentale importante, mais ni assez rapide ni assez massive. “Les Ukrainiens comprennent que l’Occident ne peut pas fournir toutes les armes lourdes dont ils ont besoin”, rappelle Alexander Grinberg. Et chaque semaine de guerre augmente la pression sur l’opinion publique occidentale, dans un contexte d’inflation et de crise énergétique. “Les Américains peuvent dire aux Ukrainiens : ‘vous ne pouvez pas continuer’”, a rappelé l’Israélien.

Négociations ouvertes

L’avancée russe ne doit pas faire oublier son coût, en termes de sanctions, de pertes humaines et de destruction de matériel. Poutine a donc, selon les analystes, de nombreuses raisons de vouloir mettre fin à la guerre.
Fin juin, le Kremlin avait ouvert la possibilité de négociations. « Nous devons commander […] Les soldats ukrainiens doivent déposer les armes et toutes les conditions fixées par la Russie doivent être respectées. Alors tout sera fini en un jour”, a déclaré le porte-parole de Poutine, Dmitri Peskov. L’homme fort du Kremlin pouvait en fait déclarer que ses objectifs avaient été atteints et justifier en interne une pause dans la guerre. “Poutine va être obligé de négocier à un moment donné, ses yeux sont plus gros que son ventre”, assure Colin Clarke. Il trouvera devant lui un front divisé au sein même de la classe politique ukrainienne.
Car même si Zelensky a été tenté de quitter le Donbass pour acheter la paix, sa droite et ses généraux « refusent tout compromis avec la Russie », souligne Pierre Razou. “Ils peuvent tolérer un conflit gelé, mais pas la défaite.”