Au cours des dix dernières années, ces clubs ont vu leurs effectifs s’envoler, passant de 145 000 en 2011 à plus de 242 000 en 2022, soit une augmentation de 70 %. Si certains se passionnent pour ce sport, d’autres s’entraînent et achètent des armes dans un but moins avoué, et encore très tabou, celui de l’autodéfense.
Le transport est autorisé, mais le port d’armes est totalement interdit
C’est le cas de Mitch, alors, membre de l’ARPAC, un syndicat qui milite pour le rétablissement du port d’armes par les citoyens dans les lieux publics. En d’autres termes, le droit de porter une arme dans la rue “au cas où”. Pour ce vendeur de 40 ans, « avoir une arme sur soi, c’est être capable de se défendre. Ma femme pèse 50 kg mouillée, elle ne peut pas résister physiquement, n’importe qui peut la blesser. Une arme, au moins, met tout le monde sur un pied d’égalité”, explique-t-il, notant que le club, qui regroupe plusieurs milliers de personnes, reçoit chaque semaine de nouvelles demandes d’adhésion. Cependant, en France, à de très rares exceptions près, le port d’armes à feu est totalement interdit. “En dehors des forces de l’ordre, le port d’armes peut être autorisé dans certains cas, pour les gardes du corps, certains politiques, journalistes, avocats ou magistrats qui s’inquiètent des risques liés au terrorisme”, explique Yves Gollety, président de la Chambre Syndicale Nationale des Armuriers Français . (CSNA), rappelant que la licence est délivrée par le Ministère de l’Intérieur et est renouvelée chaque année. Si Mitch a pu acquérir cet arsenal, c’est parce qu’il est licencié par un club de tir, l’une des conditions obligatoires pour acheter et posséder une arme. “De plus, il faut pratiquer le tir pendant six mois, avoir un certificat médical et ne pas être inscrit à la FINIADA (Fichier national des interdictions d’acquisition et de détention d’armes)”, ajoute Yves Gollety. Pour certaines classes d’armes, le club de tir sportif doit également émettre un avis favorable afin de pouvoir en acquérir une. Une fois achetées, ces armes ne peuvent pas être utilisées hors de portée et sont transportées dans un étui ou un sac, les munitions étant stockées séparément.
“La tarte à la crème c’était le Bataclan”
Mais c’est hors de portée que Mitch souhaite pouvoir porter son arme. Car depuis les attentats de 2015 surtout, la commerciale affirme ne pas se sentir en sécurité : « La police ne peut pas être présente partout, le temps d’intervention varie selon les zones, notamment dans les zones rurales. Je fais confiance à la police pour rechercher les auteurs après, mais en même temps on ne peut pas compter sur eux, il faut pouvoir se défendre.” Pour Patrice Bouvere, directeur de l’Observatoire du matériel, ce sentiment d’insécurité s’est accru après les attentats de 2015, mais aussi avec une baisse de confiance dans les forces de l’ordre. “Depuis Charlie Hebdo et le 13 novembre, plus de gens veulent s’armer”, dit-il. Cette série d’attaques meurtrières, exactement, pense Mitch, aurait pu être empêchée par le port d’armes du citoyen. « La cerise sur le gâteau, c’était le Bataclan. Si les gens étaient armés, ce ne serait pas un massacre”, ajoute-t-il, demandant un permis de port d’armes pour “des volontaires français, sans casier judiciaire, qui peuvent justifier d’une formation”. Face à ceux qui pensent qu’une telle mesure augmenterait la violence et les tueries de masse, comme les États-Unis, l’homme écarte les critiques : « Porter une arme ne veut pas dire qu’on ne veut pas tuer tout le monde. Ils nous présentent comme des gens dangereux, mais nous ne prônons aucune violence, nous demandons simplement le droit de nous défendre”, réagit-il.
Profils difficiles à trouver
Mais entre ceux qui les possèdent légalement, comme Mitch, ou ceux qui les achètent illégalement ou qui en héritent, il est impossible de quantifier et de tracer toutes les armes circulant en France, explique Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire de l’armement. “Nous ne savons que celles qui sont achetées légalement car elles doivent être déclarées dans le Système d’Information sur les Armes (SIA), lancé en février 2022, qui remplace l’ancien fichier Agrippa”, ajoute l’expert. Au-delà des armes, ce sont les profils de certains propriétaires qui inquiètent les autorités, notamment des groupes d’extrême droite, défenseurs ou rescapés. Comment différencier ceux qui sont passionnés par la pratique sportive de ceux qui pourraient utiliser leur arme ? « Les présidents de clubs de tir sont très prudents, ils ne veulent pas de cow-boys ou de Rambos. Au moindre doute sur le profil, on signale à la préfecture », explique Yves Gollety. Selon Laurent Nuñez, le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, plus d’un millier de personnes appartenant à ces mouvements sont surveillées par les services de renseignement. “Parmi eux, on voit que certains cherchent à s’armer pour préparer des actions violentes ou pour préparer cette guerre tribale qu’ils imaginent”, a-t-il expliqué, à l’émission de l’Envoyé spécial, “Jamais sans mon fusil”. Malheureusement, certains passent encore entre les mailles du filet, comme Loïk Le Priol, un militant d’extrême droite bien connu des services de police, inculpé en avril de meurtre. Il est soupçonné d’avoir tiré et tué l’ancien rugbyman Federico Martin Araburou, 42 ans, samedi 19 mars à Paris. Pour d’autres, c’est la fragilité ou l’instabilité émotionnelle qui leur fait peur d’agir. Comme le 11 mai 2021 dans les Cévennes. Ce jour-là, Valentin Marcone, décrit comme introverti et obsédé par les armes, a abattu son patron et deux collègues dans une scierie du Gard où il travaillait. Le joueur de 29 ans disposait d’un véritable arsenal chez lui et a même construit son propre champ de tir dans son jardin, un arsenal légal en raison de son appartenance à un club de tir.