« Le tribunal à la majorité d’au moins six voix vous a reconnu coupable d’assassinat le 8 décembre 1986 à Ramonville Saint-Agne, annonce le président Guillaume Roussel. En conséquence, Monsieur Bourgeon, vous êtes condamné à 20 ans de prison. jours pour faire appel. Dans la salle d’audience de la Haute-Garonne, pleine de monde, les larmes des filles de Joël Bourgeon brisent le silence. Ils ont 22 et 25 ans. Le 8 décembre 1986, lorsqu’elle disparaît, Martine Escadeillas a 24 ans. Deux consignes, les suspects n’ayant pas conservé alors, en 2016, une lettre relançant cette affaire froide. Le procès de Joël Bourgeon, à partir de vendredi devant la cour d’assises de la Haute-Garonne, a montré la difficulté de juger avec le temps qui passe. Un temps dont les avocats de la défense ont rappelé “que Joël Bourgeon n’était pas responsable”. “Il n’est pas responsable de l’ampleur du dossier Alègre qu’il occupe, il n’est pas responsable du manque de travail de certains gendarmes, voire des erreurs des juges”, insiste Me Mouton. Devant le jury, une femme et cinq hommes qui se sentaient parfois un peu perdus, la défense et l’accusation, ont rassemblé les arguments qui servaient leur cause. “Dans cette affaire, il n’y a aucun doute raisonnable sur la culpabilité de Joël Bourgeon. Il n’est pas coupable, mais le coupable du meurtre de Martine Escadeillas”, a déclaré le procureur général Nicolas Ruff.
“Sans retrouver le corps, comme un crime non résolu”
En écho, la défense de la voix de Me de Boyer-Montaigut, réplique : « Cette consigne absolue donne de la crédibilité aux sceptiques pour douter de ce qui est fiable. Elle grave alors dans le marbre des aveux bâtis sur des sables mouvants psychologiques et surinterprète les faits et gestes de Joël. Bourgeon pour tenter d’étouffer un soupçon. En fait, dans ce cas, la construction de la culpabilité a précédé la recherche de la vérité ! A côté de ce ping-pong judiciaire, deux familles se regardent. Celui de Martine Escadeillas ne demande finalement qu’une seule chose : un enterrement digne pour leur sœur “disparue”. “Pendant 36 ans, ils lèvent la tête pour scruter l’horizon. Pendant trois ans, ils n’avaient qu’à voir comme horizon ton mensonge, ton infinie lâcheté, se plaint leur avocat, Me Frédéric David. Si on ne retrouve pas le corps, c’est comme un crime qui reste non élucidé.” Accroché au faisceau de preuves recueillies par l’instruction, l’avocat observe “ces petits cailloux qui, indépendamment les uns des autres, ne témoignent de rien de précis, mais convergent tous dans le même sens !” Joël Bourgeon n’hésite pas. Sa femme, ses filles serrent les poings et les dents. Mais eux aussi s’effondrent et crient leur douleur lorsque le procureur général exige 20 ans de réclusion criminelle. Que savent-ils du garçon de 23 ans qui jouait au foot et faisait de la moto avec Thierry, son “grand ami indispensable” devenu “connu dans la cage d’escalier”, le compagnon de Martin Eskaia ? Pas beaucoup.
La défense : “Tant d’incohérences”
Pourtant, ils connaissent le bonheur de cet homme de 58 ans. Du moins jusqu’à son arrestation le 22 janvier 2019. Père à deux reprises, il “ne veut que notre bonheur”, confie sa fille cadette. Cet entraîneur et voisin, apprécié ou non, clame son innocence depuis trois ans. Mais avant de le crier, pas toujours de manière très cohérente, cet homme a fait des aveux à la police. « Il y a tellement d’incohérences là, se plaint Me Mouton. Et si M. Bourgeon dit que c’est le chaos dans sa tête lors de sa garde à vue, le procureur de Toulouse en janvier 2019 parle, lui, d’un aveu non étayé.” Ni la partie civile ni le parquet ne partagent cette lecture. Le procureur général Nicolas Ruff est particulièrement désolé : “Ces aveux se sont arrêtés à mi-chemin, sans donner le corps.” C’est peut-être cela qui, lorsqu’une sentence a été prononcée, a définitivement forgé la profonde conviction du jury. Et cela reste l’énigme non résolue de ce dossier. “Sans le corps de Martine, pour sa famille, commente Me David, ce procès reste un échec.”